Le Recours aux forêts

Il n’est pas nécessaire d’aller au loin pour s’extraire de la frénésie du monde. Un petit coin de forêt quelque peu oublié suffit. Mieux qu’une cabane, plantez une tente. Veillez juste à choisir un endroit un peu difficile d’accès (végétation enchevêtrée, broussaille) pour être tranquille. Même à cent mètres d’un chemin fréquenté, la probabilité qu’un autre désire la même chose que vous est quasi nulle. Tant ils sont rares, ceux qui désirent simplement s’approcher de l’origine. 

Sans bouger, vous aurez tout un monde. Sans effort, vous entrerez un peu dans l’organisation secrète des choses. Une simple branche tombée à terre, pourrissante, mêlées aux feuilles mortes, gagnée par la mousse épaisse, vous révélera un nouvel espace-temps peuplé de générations d’habitants étranges. La nuit, en sortant faire pipi, la lune brillante vous rappellera que chaque atome qui compose votre petit coin de forêt, et vous-même, a longtemps erré dans le cosmos avant d’organiser votre réalité. 

Malheureusement, le lendemain matin, votre nature humaine nécessairement insatisfaite exigera que vous fassiez quelque chose. Vous saisirez alors votre appareil photo et vous tâcherez de réaliser un compromis convenable entre votre nature humaine et l’univers : il s’agira, du matin jusqu’au soir, dans un rayon de cinquante mètres autour de la tente, de capter l’intimité et l'infini qui pénétrent ensemble chaque recoin du sous-bois. 

Vous aurez ainsi sacrifié à l’impérieux désir humain de la possession, tout en exprimant une forme de reconnaissance et d’hommage au mystère de l’univers. 

Lieu :  Forêt domaniale de Bonlieu - Jura