Tirages jet d’encre sur papier Fine Art Hahnemühle (Rag bright white - mat), 45 x 60 cm
La quête de l’origine rêvée du monde :
Étroitement liée à la grande randonnée, ma pratique du paysage a souvent mené mes pas vers les pays du nord. La nature y apparaît en effet comme le terrain privilégié de certains idéaux - liberté, pureté, beauté -, devenus aujourd’hui quelque peu illusoires, au point de relever presque du mythe.
La photographie de paysage prélève des fragments d’espaces qui, dans l’œil du photographe, sont autant de reflets de cette nature mythifiée. C’est un peu comme si, en allant à la recherche de ces images, on puisait au fond de notre imaginaire, de nos fantasmes, ou de notre mémoire ancestrale, afin de trouver l’écho d’une réalité primitive, au caractère nécessairement sublime. C’est en quelque sorte une quête de l’origine rêvée du monde. Parfois, cette quête me conduit vers des horizons vides. Cadrer est alors une opération consistant à emporter pour soi une part d’infini.
Il s’agit donc d’aller chercher à pied, à travers la réalité physique d’un espace naturel, une image relevant d’un mythe : la beauté de l’origine du monde. Et quand on cherche longtemps, au prix d’un peu de sueur, on trouve parfois. Mais la belle image ainsi obtenue n’est pas la réalité du paysage tout entier. C’est une image construite : la vue est d'abord choisie, puis l'image est cadrée, composée, déclenchée à un instant T, sélectionnée, et enfin traitée. Reste alors à savoir quelle part sa beauté doit au réel, et quelle part au photographe.
Aussi ces images inspirent-elles souvent de la défiance. Elles font naître chez le spectateur à l’œil aiguisé un jugement esthétique et moral qui l’amène à y voir deux possibles « pêchés » : ce beau-là est soit trop facile, puisqu’il est déjà présent dans le sujet et identifiable comme tel par tout un chacun ; soit trop beau pour être honnête, factice et enjolivé, peut-être même un peu kitsch, parfois. Pire encore : le fait-même que ces images visent explicitement quelque chose d’aussi remis en cause que la notion de Beau, peut aisément les décrédibiliser.
Si j’assume ces images comme étant le fruit d’une motivation profonde et d’un investissement physique et moral relativement élevé, ce n’est donc pas - on le voit - libéré de certains scrupules à leur égard…
Islande, le retour (2011) :
Après quatre années en Islande (1997 - 2002), après des centaines de kilomètres à pied et des milliers de photographies, je me souviens avoir un moment pensé que j’en avais peut-être fait le tour, et qu’après y avoir tant marché, tant vu de choses merveilleuses, le feu sacré que ce pays m’avait insufflé s’était, sinon éteint, du moins affaibli.
Quand j’y retournai en 2011, cette pensée - qui avait dû germer dans le désenchantement inhérent à la routine parisienne - fut balayée en un jour. C’était l’automne à Thorsmörk. Il pleuvait. J’étais seul. Tous les touristes étaient partis. J’ai arpenté la montagne, j’étais trempé. Je regardais partout, je n’en croyais pas mes yeux…
Jamais encore peut-être, et jamais depuis sûrement, je n’avais eu la sensation profonde que tout ce qui m’entourait était irréel, tant chaque chose visible - les couleurs, les formes et la lumière – surpassaient en étrangeté et en beauté ce qui constitue habituellement la réalité.
J’ai photographié cela. Mais j’ai écarté ici les images les plus proches du mythe, les plus proches de cette origine rêvée du monde. Bien que vraies, elles risquaient de n’être pas crédibles. Bien que dénuées d’effets surajoutés, elles risquaient d’être jugées de mauvais goût. Mes scrupules ont eu raison d’elles.
(Dans cette série, sont intégrées également quelques images argentiques datant du séjour de 1997 - 2002. Elles feront l'objet d'une série spécifique avec d'autres de cette période, une fois réalisée la numérisation des négatifs. En effet ces photographies n'ont été tirées que de manière industrielle jusqu'à présent et nécessitent un traitement individualisé.)
Norvège (2014) :
On découvre en Norvège, sur les plateaux élevés, des écrins intemporels. La minéralité domine. L’eau attend de geler à nouveau, sagement, année après année. Le silence est limpide. Parfois on tombe sur le crâne d’un renne venu mourir ici, on ne sait pas quand ni pourquoi. On se rappelle les tableaux de vanités. Mais on n’est pas amer, ni désespéré, puisque l’air est pur et frais, que l’espace est grand et libre, et que la beauté surpasse la tragédie.